La géographie, écriture de la terre.
La photographie, écriture de la lumière.

La géographie, c’est l’écriture de la terre, la photographie, c’est l’écriture de la lumière. Si, de prime abord, Thomas Catifait a réalisé, avec cette série – D’ici et de maintenant – consacrée aux territoires « délaissés », un travail de photographe, il semble évident – à mieux y regarder – qu’il a fait aussi un travail de géographe. Pas de la géographie des cartes, qui voit de haut et qui embrasse de loin les réalités statistiques et générales, mais plutôt un travail du cas particulier dans ce qu’il contient d’universel.

Quelle France se dessine à travers cette série photographique ?

Une France qui n’est ni celle des cartes postales ni celle des statistiques, mais une France, à la fois familière et oubliée, de ces espaces qui sont les angles morts de l’Aménagement du territoire. Une France qui, malgré la politique volontariste des pouvoirs publics dans leur tentative de rééquilibrage engagée dans les années 80 avec les lois de décentralisation et l’émergence de « métropoles d’équilibre », demeure isolée et délaissée. Une France loin des dynamismes de métropolisation qui disparaît dans l’ignorance des villes prospères où la nouvelle richesse, déconnectée du terroir et du territoire, se construit en hâte. Une France victime de l’épuisement progressif de ses sols qui ne sont plus vivifiés par l’économie d’une agriculture productiviste, que la valorisation de l’agriculture labellisée, le tourisme vert et les néo-ruraux ne parviennent pas toujours à extraire de la crise, et qui doucement s’endort et meurt lorsqu’elle est trop éloignée de l’aire d’influence de ces nouvelles grandes aires urbaines.

Thomas Catifait a photographié cette France. Dans ces images, les hommes n’apparaissent pas, et pourtant ces photographies ne parlent que d’eux : à travers leurs lieux de vie, leur passé, demeuré là comme un vestige dans le paysage, mais aussi à travers l’expression, parfois douloureuse et violente, de leur avenir, hypothétique et hypothéqué. Cependant, ces photographies « parlent » à chacun : à ceux que ces images font resurgir les souvenirs d’enfance de vacances passées à la campagne ; à ceux qui, loin des autoroutes, circulent le long des routes départementales… Ces images « parlent » et semblent montrer le visage familier de ces petites villes et de ces villages de province. Mais à mieux y regarder, le discours est incisif, et sous le calme apparent, c’est le coma économique de ces territoires qui est envisagé. C’est la déliquescence, l’effacement progressif ou la disparition totale d’éléments du patrimoine paysager – essentiellement architecturaux et souvent modestes – constitutifs de ces lieux, que montre le photographe. Thomas Catifait a regardé l’âme de cette France et en a saisi le reflet, laissant les « choses » du paysage révélées s’exprimer sur l’image – « les choses ont leur secret les choses ont leur légende mais les choses murmurent si nous savons entendre », chantait Barbara. Et la beauté, apparemment simple, de ces photographies fait oublier le travail minutieux qui l’a fait émerger : rigueur extrême dans la sélection des sujets, dans la composition, le cadrage et la lumière. Des images qui traduisent, avec douceur et élégance, des réalités violentes et des souffrances brutales.

Le paysage urbain, c’est la géographie du vécu. Les généralités sont construites à partir de séries significatives de cas particuliers. Thomas Catifait a su trouver les singularités de paysages dont le vécu rassemble celui de tout un siècle – le vingtième siècle -, pour créer des images qui les incarnent.

Ce travail, entrepris en 2011, rejoint aujourd’hui l’actualité politique, preuve s’il en est de la pertinence de ce regard sans concession porté sur ce que les géographes appellent les « espaces de faible densité ». Crise du logement, déprise rurale, patrimoine à l’abandon, crise de l’offre politique : les thèmes foisonnent dans cette série photographique qui a nécessité des années de collecte et des dizaines de milliers de kilomètres parcourus, pour patiemment accumuler un ensemble cohérent qui fait sens, et ne répond peut-être pas comme on s’y attendait à la question posée.

Stenka Gunning